Gottlieb dit Aram

… / … Pourtant le printemps existe. L’homme, le migrateur Aram n’aurait pas fait tout ce chemin s’il n’y croyait pas. Il ne serait ni tout à fait homme ni tout à fait peintre. A la longue, en effet, le printemps est né dans l’œuvre d’Aram, non pas dans sa jeunesse qui fut le temps atroce, mais dans sa maturité qui est celui d’une certaine paix, précaire mais précieuse. Un printemps très craintif, tout d’abord, pas un torrent de joie.
Un peu comme une enluminure en haut d’une page de quelque sombre Apocalypse manuscrite, ou comme le premier sourire des anges de Giotto après les masques fascinés des grands saints byzantins. La violence des mouvements du pinceau s’apaise. Voilà sur des panneaux de bois peints à la laque des rouges et des bruns assombris de gris mais d’où monte une chaleur nouvelle. Est-ce bien le printemps chaleur nouvelle. Est-ce bien le printemps ? C’est peut-être l’haleine rougeoyante de quelque forge paysanne, transposition de celles qu’Aram a pu connaître dans son enfance au fond des Karpathes ukrainiennes. Le coup de vent qui gelait le cadavre abstrait de Charles le Téméraire dans un enchevêtrement de lignes écrasées et tordues devient ici un souffle doux qui soulève avec patience toute une végétation spirituelle.
Cette redécouverte des forces vivantes, cette joie grandissante de plus en plus coloriée et lumineuse devant le retour du printemps qui est peut-être aussi tout simplement le présent n’est nullement naturaliste. Mais parce que la lumière et la couleur y sont celles d’un émerveillement imaginaire qui vient de l’enfance.

Albert Palle – Prix Renaudot 1959
L’Arche – Juillet 1967